Isaac Albéniz
"pages célèbres ou inconnues"
 

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durée totale : 73'18"

  1. Asturias
  2. Cádiz (Canción)
  3. Danza Española n°1
  4. Danza Española n°2
  5. Danza Española n°3
  6. Granada (Serenata)
  7. Mallorca (Barcarola)
  8. Oriental
  9. Puerta de Tierra (Bolero)
  10. Rumores de la Caleta(Malagueña)
  11. Serenata Árabe
  12. Sevilla (Sevillanas)
  13. Torre Bermeja (Serenata)
  14. Zambra Granadina (Danse Orientale)

 

ASTURIAS

CADIZ

DANZA ESPANOLA N°1

DANZA ESPANOLA N°2

DANZA ESPANOLA N°3

GRANADA

MALLORCA

ORIENTAL

PUERTA DE TIERRA

RUMORES DE LA CALETA

SERENATA ARABE

SEVILLA

TORRE BERMEJA

ZAMBRA GRANADINA

 

Index

ASTURIAS, n° 5 de la Suite Espagnole. Également publié sous le nom de Leyenda et aussi Preludio des Chants d’Espagne

La sorte de toccata qui ouvre cette pièce doit être analysée plutôt comme une stylisation de la bulería avec sa pulsation alternée caractéristique et non comme une granaína comme cela se fait parfois. La partie centrale, la copla, classiquement plus lente, s’apparente à la soleá.

 

CADIZ, (Chanson), n°4 de la Suite Espagnole.

Le port de Cadix, toujours en relation étroite avec la province de Cuba, espagnole jusqu’en 1898, symbolise à lui tout seul l’œuvre d’Albéniz en général et le mélange de styles européen, andalou et antillais qui la caractérise.

 

DANZAS ESPAÑOLAS, n°1,2 et 3 op. 165 (1887)

Ces soi-disant Danses Espagnoles sont de fait des habaneras (havanaises). Une des habaneras les plus célèbres est celle de Carmen : « L’amour est enfant de bohème » dont le thème fut emprunté par Bizet à l’hispano-cubain Sebastian Yradier. Le qualificatif d' « espagnole » donné ici par Albéniz semble indiquer une revendication forte de Cuba comme partie intégrante du territoire national : la guerre d’Indépendance ne prendra fin que onze ans plus tard avec l’arrivée des troupes yankees sur l’île. Albéniz a pu directement puiser à la source le style authentique de cette musique nonchalante pendant ses séjours dans les Antilles. On rencontre dans cet op. 165 des indications telles que « langoureux » et « doucereux ».

GRANADA,(Sérénade), (1886) n°1 de la Suite Espagnole

Albéniz composa cette mélodie immortelle dans le genre des sérénades pour petits groupes de cordes pincées (rondallas). Au début, les guitares chantent dans le grave, accompagnées par les bandurrias ("mandolines" espagnoles) dans l’aigu. Dans la partie centrale, les fonctions mélodiques sont inversées.

 

MALLORCA, (Barcarolle), (1890)

Dans cette pièce pourtant indiscutablement hispanique passe l’ombre de la Ballade en sol mineur de Chopin. C’est qu’Albéniz se souvient du voyage bien connu du Polonais à Majorque en compagnie de George Sand. La fusion entre ces deux mondes musicaux bien différents donne lieu ici à une œuvre très aboutie, une des meilleures d’Albéniz, d’un style surprenant par sa cohérence.

 

ORIENTAL, (1891-1894) n°2 de Chants d’Espagne

C’est une variante stylisée de Solea, aux modulations brusques, et qui utilise des tournures typiques de la guitare.


PUERTA DE TIERRA, (Bolero), (1886-1887) n°5 de Recuerdos de Viaje. Également publié sous le nom de Andalucía.

Le Bolero, danse gaie d’allure modérée, apparut au XVIII° siècle et se répandit rapidement dans le reste de l’Europe où il symbolisa longtemps à lui seul toute la musique espagnole. Dans sa version originale, le Boléro était aussi chanté et accompagné par les guitares et les castagnettes. Le guitariste andalou Julián Arcas nous a transmis un Bolero publié vers 1860 ; on peut en retrouver une réminiscence dans Puerta de Tierra.

 

RUMORES DE LA CALETA, (Malagueña), (1886-1887) n°6 de Recuerdos de Viaje
En se livrant, ici plus qu'ailleurs, à l’imitation de la guitare flamenca de son temps, Albéniz écrit une œuvre remarquable, entièrement en mode phrygien (flamenco, andalou) sans conclusion tonale finale ; audace qui constituait une « faute de composition », au sens académique, dans la musique européenne de cette époque. Pour mémoire, dans Asturias, elle-même entièrement écrite dans ce mode, Albéniz sacrifie au confort de l'oreille du public, fût-il un public espagnol, pour finir dans une tonalité mineure « classique »
L’écriture en arpèges ascendants, typique por malagueñas, symbolise aussi en même temps pour l’auteur les petites vagues qui se brisent sur la plage de Malaga, « La Caleta ».


SERENATA ÁRABE,(avant 1885)

Dédiée à l'infante Eulalia de Borbón, cette pièce attachante nous rappelle que Albéniz avait été nommé tout récemment "pianiste officiel de la Reine d'Espagne".

 

SEVILLA, (Sevillanas), (avant 1886) n 3 de la Suite Espagnole

Plus précisément, il s’agit de la danse populaire appelée Panaderos (dont témoigne également vers 1860 Julián Arcas qui la nomme Bolero), le mot "Sevillanas"  étant réservé à une forme plus répandue au rythme plus vif. De même que dans Granada, le "modèle" est celui d’un petit ensemble instrumental à cordes pincées.

 

TORRE BERMEJA, (Sérénade), (1888) n°12 des Douze Pièces Caractéristiques

Ces "Tours Vermeilles" sur la colline de l’Alhambra abritent de nombreux oiseaux. Ils sont évoqués ici sous forme de multiples arpèges. Olivier Messiaen, grand admirateur de l’œuvre pianistique d’Albéniz, s’en souviendra peut-être dans son «Catalogue d’oiseaux»!

 

ZAMBRA GRANADINA, (Danse orientale), (avant 1891)

Comme beaucoup de créateurs d’un siècle caractérisé par les conquêtes coloniales, Albéniz fut séduit par l’orientalisme. L’idée de l’Orient en général permettait aux artistes une plus grande liberté et même une certaine audace, comme si les règles académiques de leur art pouvaient ne plus s’appliquer avec autant de rigueur quand le sujet était loin de l’Europe. Toutefois, la Zambra, qui désigna une fête, puis une pièce musicale, est aussi une tradition de Grenade, issue de l’héritage andalou, arabe et gitan et donc de la guitare elle-même. Cette Danse a pour originalité un surprenant mélange de modes majeurs et mineurs.

 

 

Revue de Presse

 

 
Les "10" de Répertoire, Juillet 2002
 
Sous le titre insolite de « Pages célèbres ou inconnues » (mais précisons qu'ici à l'instar d'un pâté fameux, on trouve des pages célèbres à proportion d' un cheval tandis que les inconnues pèsent le poids d'une alouette ... ) ce 45ème volume de la collection « Guitare Plus » regroupe une série de pièces pianistiques d'Albéniz transcrites par Rafael Andia pour son instrument.

L'éternel débat sur l'opportunité de la transcription n'a pas lieu d'être cette fois, au moins pour deux raisons: 1°) la discographie du compositeur andalou est trop clairsemée pour qu'on récuse a priori un nouvel enregistrement; 2°) non seulement cette musique est profondément imprégnée des modes et rythmes spécifiques aux guitaristes flamencos, mais son écriture assimile de nombreuses figures techniques propres à l'instrument à cordes pincées. Au programme : une série d'extraits de la 1ère Suite espagnole (Granada, Sevilla, Càdiz, Asturias), des Souvenirs de voyage (Puerta de Tierra, Rumores de la Caleta), des Chants d'Espagne (Oriental) et des Pièces caractéristiques (Torre Bermeja), associés à divers morceaux indépendants (Danses espagnoles, Serenata Arabe, Mallorca, Zambra Granadina).

Un vrai kaléidoscope, donc, mais unifié par le souffle singulier de l'interprétation. Né en France de parents espagnols, Andia n'a pas fait que puiser dans ses racines culturelles pour aborder ce répertoire. Il a pratiqué le style flamenco très tôt dans sa carrière et n'a cessé d'explorer l'histoire de la guitare espagnole, depuis l'âge baroque jusqu'à nos jours. C'est sans doute la diversité de son parcours alliée à ses activités de pédagogue et de compositeur qui lui permet de jeter sur la musique d'Albéniz un regard à la fois lucide et fervent, ancré dans l'intimité dialectale de la musique et résolument subjectif. Chaque inflexion, chaque soupir résonnent en effet d'un écho immémorial qui, jamais, ne « fait couleur locale », ce qui préserve le caractère ibérique de ces miniatures tout en leur conférant une dimension plus universelle, plus moderne que de coutume. Et de fait les accents rauques, le jeu rugueux d'Andia, les ocres sombres de sa palette et le trait charbonneux de son dessin semblent souvent recréer la musique ou du moins l'importer dans un univers sensible inédit (cf. l'étonnante « divagation » d'Oriental).

Si des interprètes aussi prestigieux qu'Andrès Segovia, Narciso Yepes, Alexandre Lagoya, Julian Bream ou John Williams ont déjà abordé ce répertoire au disque, leurs programmes se présentaient de manière trop hétérogène pour entrer véritablement en concurrence avec celui-ci, à l'exception du dernier nommé dans un beau récitai (apparemment supprimé -CBS) dont l'esprit plus traditionnel fait pendant à la vision novatrice d'Andia.

Les amateurs de guitare, les admirateurs d'Albéniz comme les discophiles friands de sentiers plus neufs qu'il n'y paraît possèdent un point commun : ils ont intérêt à écouter ce disque hors du commun, l'un des plus éminents disques de guitare de ces vingt dernières années.


Gérard Belvire
 

El Pais, Barcelona
 
A la música d'Isaac Albéniz (1860-1909) li va bé la guitarra.Ho sap Rafael Andia, francès de pares espanyols, que, des de l'art de la transcripció, explora les màgiques sonoritats i l'impuls rítmic de les seves composicions per piano. De fet, a la virtuosa i romàntica escriptura pianística d'Albéniz hi ha tècniques típiques de la guitarra - notes alternades entre el polze i l'index, melodies en els greus amb acompanyament obstinat amb la corda més aguda a l'aire, fórmules rítmiques en arpegis..., efectes que Andia subtratlla amb encert. N'hi ha prou d'escoltar les seves versions de Rumores de la Caleta o la Zambra Granadina per quedar atrapat pel virtuosisme tècnic, la bellesa sonora i el temperament que Andia ofereix en un disc que no es limita al repertori més famós.- J.P.S.30-01-2003
Isaac Albéniz, Portrait of a Romantic
par Walter Aaron CLARK
Oxford University Press
1999

 

Un livre sur Isaac Albéniz :

 

C’est un grand livre qui nous vient de Walter A. Clark, musicologue américain, mais aussi élève de Pepe Romero, et qui a également étudié et pratiqué la guitare flamenca. Ces détails biographiques sont très importants pour comprendre que son apport à l’historiographie albénizienne est spécifique et que le regard qu’il porte, non seulement sur Albéniz, mais aussi sur la musique espagnole en général, est plus complet, plus riche que tout autre jusqu’à présent. Ce livre est en quelque sorte couplé avec un autre livre tout aussi fondamental publié chez Garland, Isaac Albéniz : A Guide to Research

Je croyais avec beaucoup d’autres que tout avait été dit sur Albéniz (1860-1909), et voilà qu’un intense travail de recherche approfondi,  étayé par les documents originaux, sème le trouble dans ces eaux tranquilles. Car il établit qu’Albéniz lui-même a singulièrement enjolivé la vérité sur ses débuts ; non, il ne s’est pas échappé de chez lui à neuf ans pour donner des concerts, non, il ne s’est pas embarqué comme clandestin pour New York, non, il n’a jamais pu rencontrer Liszt comme il le prétend. La vérité est presque aussi belle toutefois car il était bel et bien un enfant prodige qui, par exemple, pouvait jouer le dos au clavier une Fantaisie sur Semiramide et qui fit bien des tournées  en Amérique même si en réalité son père l’accompagnait. La presse dira de lui : “ ...il sera une des gloires de l’art espagnol.” Il avait onze ans !

Mais ce livre, au-delà de l’aspect biographique, nous livre une réflexion sur la musique que seul un guitariste doublé d’un connaisseur du flamenco peut avoir. Les connexions d’Albéniz avec le flamenco ont été maintes fois évoquées et sont même devenues un lieu commun, mais, à part quelques contributions ponctuelles comme celle de Guy Chapalain (Les Cahiers de la Guitare n° 64 et 65) et bien d’autres, elles n’ont pas été suffisamment travaillées, notamment pas à ma connaissance par des gens dont la trajectoire artistique personnelle est passée par le flamenco.

Un des grands bonheurs que procure également ce livre, c’est de découvrir des  textes peu connus d’Albéniz. Il s’exprime volontiers sur la musique bien sûr, mais également sur d’autres sujets : son manque de confiance en lui, son Dreyfusisme, les femmes, son athéisme, son cynisme par rapport à l’amour et, curieusement, sa méfiance à l’égard du patriotisme, lui, le “nationaliste” en musique : “L’idée de Patrie, peut être considérée comme un sentiment égotique excusable, mais jamais comme une vertu” ! Son aversion du snobisme esthétisant du Paris de la Belle Époque et de son “...infecte atmosphère artistique” : “... quelle horreur m’inspirent tous ces aristarques français ... avec si peu de génie réel et positif !. Très surprenant pour quelqu’un qui était l’intime d’Ernest Chausson (qu’il aida avec sa générosité légendaire pour la publication du Poème et qui ne le sut jamais), de Dukas et de Fauré!  A propos de ce dernier, Clark fait même état d’une possible relation homosexuelle à travers une lettre célèbre pour le moins torride qu’il écrivit à Albéniz et qui est reproduite dans l’ouvrage. Mais je crois que cette lettre est tout simplement une blague, un canular (de plus ou moins bon goût), comme cela se faisait et fait encore entre artistes, toujours très “libérés” de ce point de vue-là.

On sait qu’Albéniz signa une sorte de Pacte de Faust avec le banquier-poète anglais Money-Coutts qui, en échange de sa collaboration pour mettre ses textes en musique, lui versait des sommes d’argent lui permettant de vivre; ce que certains commentateurs albéniziens ont résumé par “le mariage de la pauvreté espagnole avec la vanité anglaise”. Clark s’étend beaucoup sur ce sujet qui, on s’en doute, l’intéresse,  puisqu’il concerne les rapports d’Albéniz avec le monde anglo-saxon. Il apporte la preuve que le musicien, contrairement à ce qu’on a souvent affirmé jusqu’ici, n’aura que des avantages à cette collaboration faite de compréhension et d’amitié mutuelles. 

Une autre idée peu courante très intéressante et bien développée par Clark est que les Opéras d’Albéniz, sur des sujets “wagnériens” (en réalité les légendes autour du roi Arthur), loin d’être  des voies sans issue où son génie méridional se serait fourvoyé et de constituer une perte sèche de temps, auraient été au contraire des expériences artistiques irremplaçables et lui auraient permis de faire des progrès décisifs sur le plan de l’unité dans la grande forme et de la complexité de l’écriture, notamment de la polyphonie, progrès qu’il n’aurait jamais réalisés en continuant sur la voie des œuvres pour piano de la première période (celles qui sont familières aux guitaristes). Il en tire la conclusion que cette deuxième période aurait été la source même de laquelle aurait jailli ensuite Iberia  et la dite troisième manière d’Albéniz.

Une question assez souvent débattue est celle de la valeur de ces œuvres de la première période qui sont le plus souvent jouées à la guitare (instrument qu’Albéniz semble avoir pratiqué, mais Clark n’en apporte pas la preuve formelle). L’opinion du compositeur lui-même, recueillie par son neveu est intéressante :

” Il y a, parmi ces pièces, certaines choses pas tout à fait  négligeables. C’est une musique un peu puérile, lisse, chaude; mais, en fin de compte, dans le peuple, dans notre peuple espagnol, il y aussi quelque chose de tout cela...Je crois que les gens ont raison quand ils continuent d’être émus avec Córdoba, avec Mallorca, avec la copla de Sevillanas [Sevilla}, avec la Serenata {Cádiz}, avec Granada. Je sens maintenant que dans toutes ces pièces il y a moins de science musicale, moins de grandes idées, mais il y a plus de chaleur, de lumière du soleil, de saveur d’olives. Cette musique de jeunesse, avec ses péchés mignons et ses ridicules qui frôlent l’affectation et la sensiblerie... c’est pour moi comme les céramiques de l’Alhambra, ces arabesques bizarres, qui n’ont pas de sens avec leurs volutes et leurs formes, mais qui sont comme l’air, comme le soleil, comme les merles ou les rossignols de leurs jardins. C’est ce qui vaut le plus dans toute cette Espagne arabe, qui, quoiqu’on en dise,  est la véritable Espagne!”

 

Ces derniers mots illustrent bien ce que l’on a souvent remarqué : à savoir que Albéniz, Falla et Turina ont “inventé” la musique espagnole, tous les trois à leur manière, alors qu’ils résidaient à l’étranger, notamment à Paris.C’est donc bien une Espagne fictive, rêvée, qui cristallisait en eux, ce qui, dans le commentaire de Walter Clark constitue une “... identité mythique, qui n’est pas moins puissante pour résider dans l’imagination”.

Rafael Andia
20/7/2000