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Les deux Etudes de Concert pour guitare
Le final est formé d'une phrase unique, une des plus
longues de notre littérature (23 mesures), développée
en apothéose, et qui combine deux cellules mélodiques et rythmiques
A et B. Voyez quelques exemples des transformations subies par B au cours
de ce développement
Si la "mise en forme guitaristique" (ce que j'appellerai mise en tablature) du texte de la première Etude n'offre aucune difficulté, il n'en va pas de même avec la deuxième où Jolivet pose au guitariste des problèmes plus complexes... C'est que, techniquement parlant, la guitare s'accommode assez mal des procédés familiers de l'écriture musicale (transpositions et distorsions thématiques, combinaisons de plusieurs cellules, symétries diverses) auxquels les compositeurs (les bons !) sont habitués à l'orchestre ou au piano. Il n'est que de voir dans nos classiques et romantiques la pauvreté et/ou la brièveté des thèmes et des développements pour s'en convaincre(2) On pouvait s'y attendre : les Deux Etudes, quoique publiées
dès 1965, ont été en général soigneusement
évitées par les guitaristes, surtout la deuxième. "Injouable"
: telle a été longtemps la réputation de Comme une
Danse.
(3)
Pourtant, plus qu'à des problèmes strictement digitaux,
nous avons affaire à des problèmes d'ordre structurel ou formel
complexes. Musique intellectuelle ! L'anathème est vite jeté
qui fournit un alibi hypocrite à la paresse ! Néanmoins, si
la musique de Jolivet est intellectuelle, elle ne perd jamais de vue l'Humain et par conséquent, comme aurait dit Rousseau, le beau
et le vrai. "Les jeux de l'esprit sont médiocres quand ils sont
gratuits" nous dit l'auteur lui-même.
Le Tombeau de Robert de Visée
On remarque que l'accord‑type de ce mode comporte les six sons du mode et uniquement des quartes ; pour ces deux raisons, il se trouve particulièrement adapté à la guitare. Jolivet utilise un accord voisin de même ambiance (avec une note ajoutée : do) qu'on croirait, si l'on n'était pas prévenu, dicté par la guitare elle‑même, tellement il sonne bien sur l'instrument : Cet
arpège interrogatif est ensuite abondamment repris et modifié
; il donnera sa conclusion au Prélude.
et une belle phrase dans le deuxième "Mode à transpositions limitées" (mesures 4 et 5). Notons également les dynamiques "inversées" par rapport à ce qu'on appelle le phrasé naturel (mesures 13, 43, 54). Dans la Courante et son Double, Jolivet reprend l'anacrouse et la mesure ambiguë 6/4 3/2 caractéristique des
anciennes courantes françaises où les hémioles étaient
de rigueur.
Là aussi, l'écriture se souvient qu'elle s'adresse à la guitare. Néanmoins le matériau mélodique fait penser à l'École de Vienne :
Noter la découpe impaire de la première phrase
: 7 + 5 mesures. Ainsi que dans Comme un Prélude…
il y a dissolution des rythmes après la première "cadence"
(mesure 16), puis apparition d'une phrase magnifique ponctuée d'un
ornement obstiné sur un sol aigu dont l'effet funèbre
est souligné par l'emploi de tamboras graves. À la fin,
un da capo de 7 mesures suit une courbe analogue aux 7 premières
mesures. Les mi graves, abondants dans cette Sarabande,
servent de pivot entre les Courantes et la Passacaille ;
Et
aussi :
Je crois qu'elle le lui rend bien.
[1]
>
Un mode à transpositions limitées est une échelle de sons
qu'on ne peut transposer qu'un nombre de fois inférieur à
douze sans retomber sur les mêmes sons que l'échelle de départ.
Par exemple les gammes majeures ou mineures ne sont pas des modes à
transpositions limitées car elles doivent être transposées
12 fois pour se transformer en elles mêmes.
[2]
Turina
fut le premier à avoir la sagacité de rompre dans certaines
de ses uvres pour guitare avec les formes classiques et à inventer
la forme qu'il appelait "en rafale" (d'où le titre de la
pièce du nom) qui consiste en non-développements, en juxtaposition
de cellules uniques. Il contournait ainsi la difficulté.
[3]
La
vérité oblige à dire que le manque de doigtés
et d'une révision sérieuse pour l'édition des Etudes a pu être rédhibitoire. Il existe une version postérieure
corrigée de la main de l'auteur qu'il serait intéressant de
publier.
[4]
"Après
les dissociations de l'impressionnisme et les musiques sérielles
il s'agit de retrouver le sens de la continuité mélodique
solidement étayée par de clairs appuis sonores et des pivots
modulants nettement caractérisés et affirmés" (Jolivet).
[5] Jolivet
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